Le dérèglement climatique n’est plus un secret pour personne, surtout lorsqu’on vit soi-même des catastrophes environnementales. Pour agir politiquement en tant que citoyen contre les inondations, feux de forêt ou glissements de terrain, le vote vert est-il la solution ? Ce choix qui reste minoritaire peut-il également être influencé par les décisions locales ?
Après le second tour de l’élection présidentielle 2022, l’écologie au pouvoir ça attendra encore un peu. 22% des suffrages ont tout de même été exprimés en faveur du candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Ses propositions pour le climat apparaissaient comme les plus abouties, selon une dizaine d’ONG, mais ses électrices et ses électeurs ont-ils utilisé leur voix pour répondre à l’urgence de la situation climatique ?
En 2021, l’Observatoire des territoires a recensé 4716 arrêtés de catastrophes naturelles en Gironde, plaçant le département en tête des territoires métropolitains sinistrés. Selon la préfecture, les risques naturels présents en Gironde sont principalement des inondations (58%), les mouvements de terrain et les incendies de forêt complètent le ce podium. Parallèlement à ce constat, la prise de conscience écologique reste très fragile en France. Si le vote vert a fait une percée importante dans les grandes villes aux dernières municipales, il demeure sous-représenté dans des communes de taille plus réduite ainsi que lors d’autres élections (nationales, régionales). A titre d’exemple, la mairie de Bordeaux, traditionnel bastion Républicain, a par exemple été remportée par une liste d’alliance de la gauche avec à sa tête Pierre Hurmic, candidat Europe Écologie Les Verts.
Un vote influencé par l’échelle géographique
D’après le politiste Daniel Boy, lors des municipales de 2020, les listes écologistes n’étaient présentes que dans 12,1% des communes, un chiffre relativement faible. Mais alors, à quel moment la prise de conscience environnementale peut-elle avoir lieu ? Les habitantes et habitants qui subissent de plus en plus les inondations, glissements de terrains et incendies se tournent-ils vers un vote davantage écologiste ? Le nombre de catastrophes naturelles entraîne-t-il une évolution au niveau des candidats et des programmes ? Pour tenter de répondre à ces questions, nous avons repéré 12 communes en Gironde, dans les Pyrénées-Atlantiques et dans les Landes, où les catastrophes naturelles se sont multipliées. L’état de catastrophe naturelle a été reconnu au moins huit fois entre 2012 et 2022 dans ces localités, où nous observons de fortes disparités au niveau du vote écologiste* entre l’échelle locale, nationale ou européenne.
Selon Sandrine Revet, anthropologue à Sciences Po Paris, les habitantes et habitants peuvent réagir de deux façons face aux catastrophes naturelles. S’engager politiquement pour réduire le risque ou tourner la page. Dans la plupart des cas, c’est la deuxième option qui prédomine. D’après l’enquête du politiste Daniel Boy, 41% des personnes interrogées considèrent que la multiplication des catastrophes naturelles n’a pas de lien avec le dérèglement climatique. Une tendance que confirme Bruno Lafon, maire sans étiquette de Biganos, une ville touchée par les incendies et les inondations. « Je crois que ceux qui se retrouvent les pieds dans l’eau réalisent le problème climatique, mais les autres pensent que ça ne les concerne pas », explique cet élu qui se revendique chabaniste. Sandrine Revet souligne également que le terme de « catastrophe naturelle » est en fait galvaudé. Concrètement, un phénomène naturel (tempête, tsunami,…) devient une catastrophe quand il rencontre des conditions de vulnérabilité qui sont le produit de décisions humaines (construire à des endroits où il ne fallait pas construire, avec des matériaux qui ne sont pas assez solides, par exemple).
Politiser les catastrophes naturelles
Pour convaincre les électeurs et les électrices, politiser le risque climatique est à double tranchant, Sandrine Revet, estime cependant que ce choix, s’il est bien géré, peut être très payant politiquement. Il faut alors « se montrer efficace dans la gestion de crise, et de se positionner en chef de guerre », précise-t-elle. Un risque pris par le maire de Seignosse dans les Landes, qui avait fait de l’écologie l’un des piliers de sa campagne en 2020. Âgé de 32 ans, Pierre Pecastaings, fraîchement élu, livre sa vision de l’écologie : « Je ne la vois pas tant comme politique mais plus comme générationnelle. Pour moi, c’est une urgence, une nécessité d’œuvrer pour notre protection et celle de l’environnement. » Dans cette commune qui a toujours préservé et valorisé la nature, les administrés semblent conscients du changement climatique. « Sur les problèmes d’inondations, la population sent bien que les épisodes de pluies importants sont de plus en plus fréquents. On a quasiment plus un hiver sans inondation », explique l’élu de la majorité présidentielle. Il s’engage quotidiennement pour convaincre les habitants d’agir : « Au-delà des mesures à prendre j’essaye de faire passer le message que la mobilisation impose forcément des contraintes. Si on ne le fait pas maintenant, on aura des problèmes demain. »
Cependant, en période d’élection, une grande majorité de candidates et candidats n’utilisent pas la lutte contre les risques climatiques comme argument de campagne. « Les mesures pour réduire la vulnérabilité face aux catastrophes ne sont pas populaires. Il faut souvent arbitrer entre le risque et des questions d’économie, de propriété privée, de développement », note Sandrine Revet. À Biganos, si le maire reconnait que le changement climatique est à l’origine d’une partie des catastrophes, il admet que son programme est assez pauvre en mesures écologistes. Un fait qu’il explique par son approche récente du sujet : « Je commence surtout à faire attention à l’utilisation du gaz, de l’électricité et du gasoil, à cause de l’augmentation des prix. Je pense que si je n’avais pas été contraint, je continuerais à gaspiller comme avant, et je pense que les gens résonnent pareil. » Si Bruno Lafon affirme que c’est aux élus de parler de ces sujets aux citoyens, il estime qu’on paye cher la politique environnementaliste.
Classement des 12 communes en fonction du nombre de mesures écologiques dans les programmes lors des municipales de 2020.
Dans ces deux villes fortement impactées par des catastrophes naturelles, le vote écologiste n’évolue pas de la même façon. À Seignosse, il a augmenté considérablement lors de la présidentielle, des départementales et des régionales depuis l’élection en 2020 de Pierre Pecastaings. Alors que les tendances sont à la baisse à Biganos. Les catastrophes naturelles ne semblent donc pas être à l’origine de l’évolution du vote écologiste, contrairement aux actions locales. Une hypothèse à laquelle aimerait croire l’élu de Seignosse : « Si mettre en place des politiques écologiques peut favoriser une prise de conscience et un vote en ce sens, même si je suis pas adhérent à Europe Écologie Les Verts, je ne peux qu’être satisfait. »
*dans notre enquête le vote écologiste comprend Europe Écologie les Verts, les alliances auxquelles le parti participe et les écologistes indépendants.
Lina Boudjeroudi, Samuel Cardon, Noëlle Hamez, Margaux Longeroche, Candice Mazaud-Tomasic, Romane Rosso