Coulisses de l’enquête sur les parrainages en Nouvelle-Aquitaine

L’année présidentielle offrait un terrain d’enquête incontournable. Parmi les nombreux sujets qui ont agité la campagne, celui des parrainages a, comme à chaque échéance, suscité le débat. Nous avons enquêté pour comprendre les ressorts de ce système à l’échelle de la Nouvelle-Aquitaine.

En autorisant douze candidats à se présenter, le système de parrainages avait fait le jeu de la diversité. Mais comment un si grand nombre de candidats pouvait-il être possible alors qu’une poignée de partis seulement contrôle les collectivités territoriales, au cœur du mécanisme ? Cette réflexion a motivé nos premières pistes de recherches : les maires sont-ils tous fidèles à leur positionnement politique lors de leur parrainage ? Les données pour y répondre étaient disponibles et la question méritait d’être posée.

Deux jeux de données

Afin d’arriver à notre objectif de savoir quel parrainage était conforme à la sensibilité politique du maire et inversement, nous avions besoin de plusieurs jeux de données. D’un côté, il fallait évidemment celles du Conseil constitutionnel. Nous y avons récupéré le nom des maires parrains et de ceux qu’ils ont parrainés, leur département (pour se limiter à la Nouvelle-Aquitaine), et leur sexe. La colonne “fonction” nous a également servi à ne filtrer que les maires.

Pour confronter les parrainages aux colorations politiques, il nous manquait donc ces dernières. Mais premier problème : le jeu de données avec la liste des maires de la région et leur étiquette politique était soit introuvable, soit incomplet.

Une solution résidait dans plusieurs tableaux Wikipédia qui répertoriaient les maires de communes par département, leur couleur politique et la population des communes. En réalisant que la plupart des pages ne présentaient que les communes de plus de 3 000 habitants, nous avons décidé de se limiter à cette taille de communes pour être certain d’avoir des données complètes. Une fois agrégées, nous avons vérifié et complété ces données avec la liste des communes de la région de l’Insee.

Fusionner les jeux

Nous avions alors deux tableaux. D’un côté, tous les maires parrains de Nouvelle-Aquitaine, de l’autre, la totalité des maires de la région. Il fallait donc fusionner ces deux tableaux pour avoir toutes les informations et pouvoir les analyser. Sur les deux tableaux, nous avions plusieurs données en commun (le nom des maires et leur commune). La formule =FILTER du tableur nous a permis d’ajouter au tableau créé les colonnes pertinentes de celui du Conseil constitutionnel (les candidats parrainés, les départements et la fonction).

Cette fusion était très délicate pour Hugo Bouqueau et Thomas Chollet-Lunot qui s’occupaient de cette partie : “Nous avons fait plusieurs erreurs avant de comprendre”, explique Hugo. “Nous avons ajouté les parrainages en fonction des villes et non des noms. Il y avait deux problèmes à cela : le premier était celui des homonymes. Au lieu d’afficher un message d’erreur, la commande attribuait aléatoirement les données sur les deux ou trois communes du même nom. Le second était celui des maires délégués. Lorsque le maire de la commune n’avait pas parrainé, la commande prenait celui d’un maire délégué qui avait parrainé pour pouvoir remplir la case. Nous nous retrouvions avec de nombreuses erreurs.”

Après ces péripéties, la solution d’ajouter les données en fonction des noms était plus sûre. “Nous n’avions pas fait comme ça au départ parce que cela rajoutait des étapes, les noms n’étant pas écrits de la même manière sur les deux documents. Un document n’avait pas les accents et les tirets. L’autre, si. Ça changeait la donne”, indique Thomas Chollet-Lunot. Il ne suffisait plus que de nettoyer le tableau, faire une dernière vérification et enlever les quelques communes de moins de 3 000 habitants.

Vivien sacrifié pour l’enquête
Mardi après-midi. L’équipe éditoriale avançait sur le démarchage des maires au fur et à mesure que les données nettoyées et traitées lui parvenaient. Le risque d’une erreur semblait avoir été mis de côté par les journalistes…
Vivien Latour décrochait son téléphone pour appeler une maire LR, cadre régionale de son parti, et dont le parrainage avait été pour Philippe Poutou selon nos tableaux. Éclat de rire de la secrétaire au bout du fil : “Certainement pas ! Elle a bien parrainé Valérie Pécresse. Je vous l’assure !” Au revoir gêné de Vivien et réunion de crise immédiate. En fusionnant les tableaux, la team data s’est faite avoir par quelques homonymes…

Le traitement

Dans l’objectif d’essayer de comprendre comment les maires ont parrainé en fonction de leur sensibilité politique, il a fallu comparer ces deux éléments. Dans le tableur, nous avons ajouté des colonnes de formules pour comprendre si la sensibilité politique du maire est en adéquation avec son parrainage. “Avec =SI par exemple, si un LR avait parrainé Valérie Pécresse, il était conforme”, explique Thomas. Ce qui nous permettait de dégager les tendances.

La carte interactive

DataWrapper nous semblait être la solution la plus pertinente pour réaliser une carte interactive. Il était possible d’automatiser l’ajout des 100 premiers marqueurs. Pour cela, sur Google Sheet, un tableur reprenait les données que nous avions auparavant. Pour que cela fonctionne, il fallait ajouter les latitudes et longitudes de chaque commune. “La Poste a une base de données avec toutes les communes de France et leurs coordonnées GPS. Il suffisait alors d’utiliser =FILTER pour ajouter les coordonnées en fonction du nom des communes, et faire attention aux homonymes”, explique Pierre Bourgès. Autre étape, automatiser la description des marqueurs : “l’objectif était de ne pas les écrire manuellement. Avec toutes les données, il suffisait de dire ‘À (colonne ville), (colonne maire), maire (colonne parti), a parrainé (colonne candidat)”, indique Pierre. La dernière étape était enfin de profiter du centre d’aide de DataWrapper pour styliser les marqueurs directement sur le Sheet. La seule limite de cette solution était l’impossibilité d’importer plus de 100 marqueurs, il a donc fallu ajouter les 27 derniers manuellement.

Travail de terrain

En parallèle du travail sur les données, l’équipe éditoriale a démarché un maximum de maires. D’emblée, nous souhaitions un rendu riche en témoignages. Les données allaient détailler la situation des parrainages en Nouvelle-Aquitaine, les maires expliqueraient par eux-mêmes leurs raisons. Avec l’aide des tableaux de l’équipe data, nous avons identifié quatre catégories de maires à contacter. Les étiquetés non-parrains, les sans étiquettes parrains, les étiquetés et les non encartés qui parrainent différemment de leur camp. Un long travail de démarchage avec des résultats variables selon, logiquement, la taille des groupes de départ. De fait, parmi les six maires sans étiquette ayant parrainé un candidat, aucun ne nous a répondu. Mais pour les autres catégories, nous avons pu trouver des témoins.

Pour compléter les maires, nous avons interviewé Ludovic Renard, politologue à Sciences Po Bordeaux. Outre notre état des lieux en Nouvelle-Aquitaine, il a également commenté le système des parrainages en général.

Visualisation finale

Pour valoriser notre travail, nous souhaitions une présentation originale. En lien avec notre sujet, l’idée nous est venue de réfléchir autour de la saga “Le Parrain”. Nous avons poussé le concept au maximum, dans la limite de notre démarche journalistique. Ainsi, le format est immersif, plongeant le lecteur dans l’ambiance mystérieuse de la Sicile des Corleone. Il suit l’enquête d’Il Padrino, sorte de Parrain des parrains (de candidats), qui veut comprendre comment des maires en sont arrivés à parrainer en dehors de leur chapelle. Une trahison en Sicile !

Bien sûr, ce cadre atypique devait être clairement compensé par la précision des propos rapportés. Il ne fallait pas que l’atmosphère mafieuse l’emporte sur les maires dont les témoignages sont argumentés et dont les choix ne souffrent d’aucune faille déontologique. Chacun a eu ses motivations pour son parrainage, mais aucune trace de manœuvre illégale !

Les sources de l’enquête

Liste des communes de Nouvelle-Aquitaine de l’INSEE

Les maires et Ludovic Renard ont été contactés par téléphone entre le 2 et le 5 mai 2022.
Seul Laurent Barban a été contacté le 1er mars 2022.

Le jeu de données pour analyser les parrainages en Nouvelle-Aquitaine
Le jeu de données pour la création de la carte interactive

L’équipe

Pierre Bourgès, chef de projet – @pierbrg
Thomas Chollet-Lunot, responsable data – @TCholletLunot
Hugo Bouqueau, data journaliste – @HugoBouqueau
Lucas Blanchard, directeur artistique – @Lucasblchd
Vivien Latour, scénariste – @VivienLatour
Louis Faurent, réalisateur making-of – @louisfaurent