À l’occasion de cette onzième édition du Data Journalisme Lab, notre équipe s’est penchée sur la réforme du revenu de solidarité active (RSA) souhaitée par Emmanuel Macron. Le 17 mars 2022, le président-candidat annonçait vouloir durcir les conditions d’accès au RSA. Un revenu que touchent près de 2 millions de Français.es selon la Drees.
Le président désormais réélu, souhaite conditionner le versement de ce minimum social à une période d’activité. Cela signifie que tout bénéficiaire du RSA aurait “l’obligation de consacrer 15 à 20 heures par semaine à une activité permettant d’aller vers l’insertion professionnelle”. Il s’agit en l’occurrence de temps de formation, de stage ou de travail d’intérêt général.
Une mesure qui s’inscrit dans la lignée du programme défendu par le chef de l’État, pour qui la nécessité est de “travailler plus” pour atteindre le plein-emploi. Pourtant, si l’objectif de ramener les bénéficiaires du RSA vers l’emploi peut paraître louable, la stratégie annoncée soulève plusieurs questions :
- Si l’ensemble des bénéficiaires du RSA doivent effectuer 15 à 20h de travail par semaine, il faut que l’offre de formation soit à la hauteur de la demande. Ainsi, le marché de l’emploi est-il en mesure de répondre à cet afflux de demandeur·euses ?
- Emmanuel Macron souhaite également automatiser le versement de certaines aides sociales, dont le RSA. Un mécanisme qui permettrait de donner plus de “lisibilité” au système social actuel et de lutter contre le phénomène de “non-recours” qui toucherait près de 30% des bénéficiaires du RSA selon Rémy Le Gall, chercheur à la Direction de la recherche, des études de l’évaluation et des statistiques. Nous avons souhaité évaluer la hausse de l’effectif total avec cette automatisation.
- Enfin, au-delà des deux dimensions de cette réforme (Retour à l’emploi et automatisation de l’aide), il existe des obstacles à l’emploi pour certains bénéficiaires de l’allocation.
Les grandes étapes de notre enquête :
Étape 1: La recherche des jeux de données disponibles
D’abord, nous avons dû identifier les jeux de données nous permettant de répondre à nos différentes hypothèses de travail. Nous nous sommes tournés vers les différents organismes d’accompagnement des bénéficiaires du RSA, tels que Pôle Emploi, la CAF, les missions locales ou encore la maison de l’emploi de Bordeaux.
L’interlocuteur privilégié en la matière était Pôle Emploi, qui accompagne la majorité des bénéficiaires de l’allocation vers l’insertion professionnelle. Malheureusement, l’institution n’a pas été en mesure de nous transmettre un jeu de données dans un délai raisonnable. Nous avons créé notre propre jeu de données grâce à celles accessibles en open source sur le site Open Data – Pôle Emploi. Celui-ci nous a permis de recenser les entrées en formation des demandeurs d’emploi par région et par secteur de formation, de janvier 2015 à septembre 2021. Nous souhaitions l’utiliser afin de déterminer les secteurs les plus sous pression, pour contacter ensuite les organismes de formation concernés, et obtenir un jeu de données plus précis sur le manque d’offre.
Étape 2 : Le nettoyage des données
Une fois notre jeu de données en main, il a fallu le nettoyer pour pouvoir l’exploiter à notre guise. A l’origine, nous avions le nombre de bénéficiaires du RSA par mois, de janvier 2017 à février 2022.
Nous voulions obtenir le nombre de bénéficiaires du RSA par région. Nous avons donc rangé les différents départements dans leur région respective dans un second tableau. Une fois cette étape réalisée, nous avons créé une colonne “Région” dans le fichier originel, et utilisé une formule pour que chaque département soit associé à la bonne région.
Grâce à la formule Split, nous avons séparé la première colonne indiquant le mois et l’année, pour obtenir une seule colonne avec uniquement l’année. Cela nous a permis de créer un tableau croisé dynamique pour déterminer la moyenne du nombre de bénéficiaires par région et par an, de 2017 à 2022. Enfin, nous avons fait la moyenne générale de toutes les régions, par an. Ce calcul nous a permis de créer une visualisation sous forme de courbe pour montrer l’évolution du nombre de bénéficiaires du RSA de 2017 à 2021 avec Infogram.
Transformer un tableau à double entrée en tableau simple
Nous avions à l’origine un tableau qui avait en ligne les départements et en colonne les mois, avec un mois par colonne. Hors un fichier structuré permettant de facilement faire des filtres ou autres analyses doit associer une colonne à une caractéristique de données : il nous fallait donc non pas un mois par colonne, mais une colonne unique pour tous les mois (ce qui, contrairement au tableau à double entrée crée plus de données répétées, mais permet en échange d’avoir une observation par ligne: région, département, mois, nombre de bénéficiaires).
Il nous fallait donc mettre toutes les données du nombre de bénéficiaires sur une seule colonne alors qu’elles étaient réparties dans plusieurs (une colonne par mois). La formule qui nous a permis de le faire est FLATTEN qui permet d’agréger plusieurs lignes dans une seule colonne. Ainsi pour fusionner plusieurs colonnes en une, il suffisait d’associer FLATTEN à TRANSPOSE, qui intervertit les lignes et les colonnes.
Étape 3 : Le travail de terrain
Pour comprendre les effets directs et concrets de cette réforme sur les Français·es, nous nous sommes d’abord tourné·es vers des personnes bénéficiant du RSA. Avec ces rencontres, nous avons illustré les difficultés rencontrées par ces individus, que les données récoltées mettaient en avant. Les bénéficiaires du RSA étant suivis par des institutions et conseiller·es, nous nous sommes rapprochés de Pôle Emploi, des Plans locaux pour l’insertion et l’emploi (PLIE), et des Missions locales.
Par ailleurs, nous avons contacté l’économiste Rémy Le Gall, qui nous a exposé les différents enjeux sociaux, économiques et logistiques de cette mesure. Le doctorant en sociologie François Testard, qui a travaillé sur le non-recours volontaire et la stigmatisation que pouvaient subir les bénéficiaires du RSA. Et enfin le président du Département de la Gironde Jean-Luc Gleyze, qui nous a parlé de la faisabilité d’une telle réforme, des formations et de l’état du marché de l’emploi dans ce secteur.
Étape 4 : La visualisation de nos données
Une fois les différentes données en notre possession, nous avons dû sélectionner celles que nous voulions visualiser et déterminer comment procéder à la visualisation.
Nous souhaitions montrer l’évolution du nombre de bénéficiaires du RSA de 2017 à 2021 par région. Nous avons donc transposé les données à l’échelle de l’année au lieu du mois, et à l’échelle de la région au lieu du département. A partir de ce jeu de données nettoyé, nous avons établi la moyenne globale du nombre de bénéficiaires par an et par région (hors Outre-Mer) afin d’établir une courbe montrant l’évolution de 2017 à 2021.
Pour les autres visualisations, nous nous sommes appuyés sur des données déjà établies, présentes dans le rapport d’évaluation du RSA de la Cour des comptes (janvier 2022). Nous avons sélectionné les plus pertinentes dans le cadre de notre enquête et avons réalisé des infographies pour les visualiser.
Difficultés rencontrées
La première difficulté rencontrée dans la réalisation de cette enquête a été le choix du sujet. Quelques jours avant le début du travail, nous hésitions encore à le changer, faute de jeux de données. Ce point a d’ailleurs été le deuxième obstacle auquel nous avons dû faire face.
Si de nombreuses recherches n’ont pas été fructueuses, nous avons finalement pu trouver quelques jeux de données sur les bénéficiaires RSA, le taux de non-recours, les profils des bénéficiaires…
Toutefois, c’est au niveau des formations, point clé de notre enquête, que les choses se sont compliquées. Pour répondre à notre questionnement de départ, il nous fallait des données sur l’offre de formation proposée pour les demandeurs d’emploi. Malheureusement, ni les rapports, ni les études, ni les sites Open Data que nous avons consultés, ne nous ont été utiles. Même en contactant directement la Maison de l’emploi de Bordeaux, le service presse de Pôle emploi et la Cour des comptes, nous n’avons pas eu de résultats. Les services du département ne nous ont pas non plus fourni de jeux de données.
Comprenant que la recherche de données ne donnerait rien, nous nous sommes orientés vers une autre alternative : créer notre propre jeu de données. Grâce au site de pôle emploi, il était possible de croiser plusieurs variables pour avoir un jeu de données. C’est de cette manière que nous avons créé un document sur les entrées en formation pour les demandeurs d’emploi. S’il ne répondait pas totalement à nos attentes, ils nous a quand même permis d’avoir plus de visibilité sur les formations.
Personnes contactées
Expert·es/chercheur·euses
- Rémi Le Gall, chercheur à la Direction de la Recherche, des Études de l’Évaluation et des Statistiques (DREES)
- François Testard, éducateur spécialisé, doctorant en sociologie et spécialiste du non-recours volontaire aux allocations sociales
Témoins bénéficiaires RSA :
- Emilie Leuger, mère célibataire
- Valérie, femme handicapée
Institutions :
- Jean-Luc Gleyze, président du Conseil départemental de la Gironde
- Marina Lory, Chargée d’accompagnement professionnel adulte – Référente Plan Local pour l’Insertion et l’Emploi (PLIE), Communauté de Commune du Grésivaudan
- Au sein de Pôle Emploi, nous avons contacté Jean-Baptiste JACQ, attaché de presse, qui n’a pas pu nous diriger vers les interlocuteurs pouvant fournir une expertise.
Ressources :
Données mensuelles sur les prestations de solidarité, Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (Drees)
Rapport d’évaluation du RSA, par la Cour des comptes, janvier 2022
Rapport d’évaluation du RSA, volet bénéficiaires par BVA pour la Cour des comptes, avril 2021
Rapport de la DREES sur le non-recours au RSA, février 2020
Outils utilisés :
Google Sheets, Infogram, Flourish, Canva
Aude Cazorla, Maud Pajtak, Ysé Rieffel, Siham Nassef, Florian Gourdin, Raphaël Jacomini